Délivrance

Oui, je suis partie d’un bloc de terre et, de ce bloc, j’ai vu émerger des formes humaines. Au final, on a face à soi une figure plus ou moins nettement définie qui tente de se dégager d’un enchevêtrement de racines. Elle est à la fois enracinée mais prise dans un mouvement pour se dégager. Elle se libère de ce qui l’alourdit et tend à la ramener vers le sol. Elle est à la fois plantée et aérienne. Comme un arbre s’élevant dans la hauteur. C’est une sculpture décisive pour moi parce qu’elle fait surgir ce motif de l’arbre avec toute sa symbolique, qui a pris dans ce que je fais aujourd’hui une place considérable. Le traitement de la figure humaine n’est pas ici réaliste. Je laisse donc au spectateur une certaine liberté pour imaginer ce qu’il voit et que je n’ai pas nécessairement voulu montrer. Ce que voit vraiment le spectateur reste pour moi un beau mystère. D’où ma réticence naturelle à coller des titres sur les œuvres car le titre influence, oriente la lecture de l’œuvre. Je préfère diriger le moins possible l’imagination, la laisser s’épanouir. Je préfère éveiller chez le spectateur la soif d’aller vers l’œuvre en toute liberté. Cela signifie que j’accepte aussi de le laisser aller au-delà de l’apparence de la sculpture, au-delà de ma propre volonté expressive : un titre trop explicite, directif, briderait cette liberté. Le titre ne doit pas être une facilité, une façon de glisser sur la sculpture, d’oublier de prendre le temps de s’approprier l’œuvre en se contentant des quelques mots qui la désignent. Mais s’il est choisi avec tact, il peut aussi provoquer l’émotion, la réflexion. Je crois qu’un titre comme Délivrance invite à chercher, à confronter le mot et l’objet. Plus profondément, je me donne pour mission d’éveiller à travers la forme sculptée le sentiment intérieur, j’ai l’espoir qu’à travers ce que je donne à voir le spectateur s’ouvre à son propre monde intérieur. Si vous prenez, par exemple, ces deux têtes jumelles, un homme et une femme, enveloppées dans ce qu’il vous plaira d’identifier (drapé, chevelure, végétation), vous voyez que leurs visages s’extraient de l’écrin protecteur ; ils sont tendus vers autre chose, les regards sont tournés vers un ailleurs, vers une vision : c’est au spectateur, selon ses propres croyances, de donner à cette vision le sens qu’il voudra, mais cela le conduira du côté du spirituel, d’une quête qui nous met hors de nous, nous délivre des pesanteurs du passé ou de l’immédiat.

Compétences

Posté le

7 août 2018